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Newsletter n°2: Rapport de Thomas Hirschhorn

Fieldwork III à Bienne du 5 au 19 mars 2017

Compte-rendu de Thomas Hirschhorn

J’étais à Bienne pour mon ‘Fieldwork III’ du 5 au 19 mars 2017. Durant ces 15 jours, accompagné de Kathleen Bühler, la curatrice de la «Robert Walser-Sculpture» et de Enrique Muños García, notre assistant-photographe, nous avons rencontré 75 acteurs/actrices Biennois/es et des institutions sociales et culturelles de Bienne dans divers domaines:éducation, soutien psychiatrique, aides sociales, aides aux addictions, maisons de quartiers, centres pour enfants, centres pour les jeunes, communautés autonomes et diverses initiatives spécifiques. J’ai voulu ces rencontres afin de pouvoir donner forme aux mottos de la «Robert Walser-Sculpture»: ‘Be an outsider! Be a hero! Be Robert Walser!’ Pendant ces deux semaines très chargées en rencontres et dialogues, j’ai pu mesurer le filet socio-culturel dense et fin constitué par ces habitants et institutions Biennois. Une belle forme de solidarité-à mes yeux-souvent impulsée par la ville avec un soutien financier ou matériel. J’ai vu dans cette ville l’existence d’un vrai foisonnement d’initiatives citoyennes. Cela exige de ma part d’être clair et précis dans ma proposition artistique et dans la logique artistique que je veux affirmer avec la «Robert Walser-Sculpture»: Donner forme. Je suis confiant après ce ‘Fieldwork’ de pouvoir tenir une de mes affirmations: vouloir et pouvoir travailler avec des Biennoises et des Biennois. Ces rencontres et dialogues ne vont peut-être pas directement aboutir, mais j’ai eu la certitude que parmi ces nombreux rendez-vous souvent enthousiastes, une coopération pour la réalisation de la “Robert Walser-Sculpture” avec telle ou telle personne ou avec telle ou telle institution Biennoise sera possible. Une des décisions abouties lors de ces rencontres ‘Fieldwork III’ a été celle prise avec la fondation du prix littéraire ‘Prix Robert Walser’. Les organisateurs nous ont confirmé leur volonté d’organiser la remise du prix pendant et dans la structure de la «Robert Walser-Sculpture» (pour la première fois deux lauréats, l’un francophone, l’autre germanophone), et la date du 8 septembre2018 est déjà convenue. Cette première coopération concrète avec une initiative Biennoise existante et la «Robert Walser-Sculpture» m’encourage à continuer sur cette lancée, avec cette volonté. Concrétiser d’autres coopérations, continuer les dialogues et approfondir ces rencontres-dont je me sens privilégié de pouvoir les faire, et me rendant heureux d’être un artiste-sera la mission du ‘Fieldwork IV’.

Parallèlement à mes recherches sur place à Bienne, à mes courtes visites à Berne, Bâle (avec des spécialistes ’hard-core’ passionnants de Robert Walser) et Wädenswil dans la magnifique ‘Villa zum Abendstern’ et la rencontre de Bernhard Echte, j’ai été invité par l’Institut Suisse de Littérature de Bienne à donner un ‘workshop’ d’une journée et demie sur la thématique ‘Art et Politique’ voulue par les étudiants/es. Ce ‘workshop’ avait pour but de discuter leur question: “Devons-nous écrire des textes politiques?”-qui est par ailleurs l’une des interrogations que Robert Walser se posait (voir le texte de Bernhard Echte: «Bedenkliches. Ueberlegungen zur Kulturkritik bei Robert Walser»). J’ai été touché par le sérieux des étudiants/es, leur implication et leurs questionnements justes. Et j’espère que ma conviction que «L’art-parce que c’est de l’art-est résistance. L’art résiste aux faits. L’art résiste aux habitudes politiques, esthétiques et culturelles.», et que mon expérience et mes questionnements d’artiste «Comment travailler politiquement? Et comment ne pas faire de l’art politique?» ont pu contribuer à leur réflexions sur ‘Art et Politique’. Par ailleurs, des coopérations avec des étudiants/es et la «Robert Walser-Sculpture» se feront peut-être et j’ai pu présenter mon projet et son ambition aux étudiants/es.

Dans mon atelier, en amont de ma venue à Bienne et du ‘Fieldwork III’, j’ai pris deux décisions que je me suis efforcé departager et clarifier lors de toutes ces 75 rencontres. La première est que la”Robert Walser-Sculpture” est une œuvre qui centralisera et qui concentrera tous les événements, contrairement à ce que j’avais envisagé au départ de les organiser en satellites. Et cela pour trois raisons:La ville de Bienne ne me semble pas assez étendue pour qu’une satellisation fasse sens, car en proportion àla taille de la ville, les lieux différents ne sont pas assez différenciés. Ensuite, lors de mes rendez-vous j’ai constaté qu’il est plus important de réunir les potentiels acteurs/actrices Biennois/es pour créer des conditions de rencontres, au lieu de disperser la «Robert Walser-Sculpture». Et enfin, j’ai prévu au moins trois modules différents dans la «Robert Walser-Sculpture»: Un module ‘Rencontre’ (point de rencontre pour les ballades par exemple), un deuxième module‘Diffusion’ (point de diffusion dujournal sur place par exemple) et un troisième module ‘Activités’ (lectures sur place par exemple).

Et pour suivre la logique de la concentration des forces, suivre la logique de donner forme et la logique de la coopération–j’ai informé tous mes interlocuteurs de ma décision de penser et faire la”Robert Walser-Sculpture” comme une unité, comme une centrale, comme un berceau, comme un point fixe-d’où partiront toutes les transformations.

La deuxième décision découlant logiquement de la première, est celle de l’emplacement de la«Robert Walser-Sculpture»: La place de la gare. Ce choix-décisif et crucial pour l’art dans l’espace public-est très important. Il s’agit d’une décision artistique liée en tous points à l’œuvre «Robert Walser-Sculpture» par sa ligne de conduite de ‘Présence et Production’ et par l’histoire de Robert Walser elle-même. Il y a huit raisons artistiques pour l’emplacement à la place de la gare:

  • 1: Robert Walser a mentionné dans plusieurs de ses textes l’importance des places de gares.
  • 2: Faire la «Robert Walser-Sculpture» me permet de créer une parenthèse avec la place existante ‘Place Robert-Walser’ située du côté lac de la gare. Cela me permet de prolonger la ‘Place Robert-Walser’ au moins précairement (pendant l’été 2018)-côté ville.
  • 3: Sur la place de la gare il y a une sculpture qui vient de la 7ème Exposition Suisse de Sculpture à Bienne en 1980, ‘Vertschaupet’(1979/1980) de Schang Hutter. Elle témoigne de l’histoire de la manifestation pour laquelle je suis -moi aussi- invité à faire une œuvre, et je veux lui rendre hommage.
  • 4: Sur la place de la gare à Bienne, sur toutes les places des gares, partout au monde, il y a toujours des personnes à la marge qui se retrouvent là. De les inclure, de surtout ne pas les exclure et, au contraire d’essayer de les impliquer, fait partie de la logique du motto de la «Robert Walser-Sculpture» (‘Be an outsider! Be a hero! Be Robert Walser!’).
  • 5: La place de la gare évoque le voyage, partir, revenir, ce qui, dans l’histoire de Robert Walser et ses nombreux voyages, fait particulièrement sens.
  • 6: Les places de gare en Suisse évoquent -comme rien d’autre- les liaisons ferroviaires qui sont un véritable outil démocratique dans ce pays pour relier localités et personnes. Beaucoup de monde circule fréquemment en train, de la gare de Bienne on relie facilement Chur, Lausanne, Brig ou Locarno.
  • 7: L’évidence de la place de la gare, sa non-originalité, mais également son positionnement stratégique dans la cité avec son grand flux, aura pour effet que tout le monde saura où se trouve la «Robert Walser-Sculpture», et ainsi tout le monde saura qui est Robert Walser et pourquoi son œuvre est importante.
  • 8: La place de la gare est par essence un endroit d’espace public. Dans les 67 projets réalisés dans l’espace public jusqu’aujourd’hui, je n’ai jamais choisi l’emplacement d’une place de la gare pour un travail. Pour rendre hommage à Robert Walser ce choix s’impose à moi à Bienne et j’affirme que j’ai la compétence-maintenant-de le faire.

Pour conclure ce ‘compte-rendu’, j’ai pris la décision-après mes deux semaines de ‘Fieldwork III’, que le titre définitif de ma sculpture serait en même temps en français et en allemand, comme cela se fait à Bienne. Inspiré par ce que j’ai vu et entendu, qui est particulier et unique à Bienne: les Biennoises et les Biennois s’adressent souverainement dans une langue ou l’autre, et se répondent souverainement ainsi aussi. Cette particularité universelle se manifeste même dans des intitulés et inscriptions que j’ai pu voir, tels “Haus pour Bienne” ou “Ouvert le Sonntag”. C’est pour cela:

«Robert Walser-Sculpture».

Thomas Hirschhorn, Aubervilliers 30 mars 2017

 

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Fotos:© Enrique Muñoz García