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Newsletter n°1: Rapport de Thomas Hirschhorn

NEWSLETTER 1
‘Fieldwork’ à Bienne du 20 au 26 novembre 2016

J’ai passé une semaine dense et chargée à Bienne. C’était une semaine de ‘Fieldwork’ en préparation de la «Robert Walser-Skulptur» en 2018, dont je veux ici rendre compte en quelques phrases. Mes phrases sont d’ordre général et doivent le rester pour le moment car ma pensée se précise, elle s’aiguise, elle s’affine. Ma pensée est habitée par le motto de la «Robert Walser-Skulptur»: «Be a hero! Be an outsider! Be Robert Walser!».
Faire du ‘Fieldwork’ veut dire aller profondément dans ce que l’artiste doit faire, aller au contact de la réalité pour en extraire le réel, pour lui donner une forme. C’est essentiel pour tout travail dans l’espace public. J’ai été accompagné pendant cette semaine par Kathleen Bühler,la curatrice qui m’a invité à proposer la «Robert Walser-Skulptur»pour Bienne, ainsi que par Enrique Munoz-Garcia, le photographe qui va documenter mon travail et qui habite Bienne et connait particulièrement bien la cité et ses habitants.Être ainsi accompagné, épaulé et soutenu dès le début, dès le ‘Fieldwork’ est important, c’est une chance. Car le ‘Fieldwork’ est le socle de la sculpture, c’est un travail fondamental,invisible et long. Il s’agit de rencontrer l’Autre. Et la seule possibilité de rencontre avec l’Autre c’est en tant que ‘égal’. Je dois m’autoriser l’égalité, je dois m’autoriser à affirmer ‘être égal’. Cela veut dire établir une relation avec l’Autre parce que je crois à l’égalité. Cela veut dire, concernant la «Robert Walser-Skulptur», que je dois suivre ma conviction d’égalité sans que ce soit une attitude forcée, restant fidèle à moi-même et ainsi pouvoir rencontrer des habitants prêts à m’aider. Établir un contact avec l’Autre-à travers l’art-doit être quelque chose qu’on ‘donne’, quelque chose d’essentiel,d’absolu. C’est une nécessité dans tout travail ‘artistique’ de terrain. C’est par un ‘Fieldwork’ approfondi que je veux et que je dois créer les conditions pour une implication des Biennois dans ma sculpture en été 2018.

 

La passion de l’égalité
J’aime faire du ‘Fieldwork’, car c’est à la fois une affirmation et une demande d’aide auprès des habitants. C’est l’affirmation que j’ai un projet, que j’ai une idée, une mission, et c’est la demande de s’y impliquer, de s’y associer et d’y co-opérer. Avoir une mission rend heureux. Partager qu’on est investi d’une mission donne force et légitimité à la démarche du ‘Fieldwork’. Il n’y a aucun succès possible–si on peut parler de succès- sans un ‘Fieldwork’ fait avec patience et passion, la passion de l’égalité. Il faut être patient car ce n’est pas, ou rarement,lors de la première visite que l’on rencontre les personnes avec lesquelles on va travailler. En effet le ‘Fieldwork’ de la «Robert Walser-Skulptur» consiste à rencontrer des habitants de Bienne engagés dans une action, des acteurs/actrices d’une démarche individuelle ou collective. Faire du ‘Fieldwork’ c’est le plaisir de rencontrer des gens avec leurs idées et leurs missions, avec des actions et passions que j’ignorais.C’est aussi faire connaissance d’une ville sous un éclairage réel et précis au travers de personnes qui y travaillent ou y vivent.
Pour moi l’art est un outil. Un outil pour rencontrer le monde, un outil pour se confronter à la réalité et un outil pour vivre dans le temps dans lequel je vis. Je crois à l’Universalité et au pouvoir universel de l’art de transformer chaque être humain. D’autres mots pour ‘Universalité’ sont ‘Égalité’, le ‘Public Non-Exclusif’, ‘Vérité’, ‘l’Unique Monde’ ou encore ‘Justice’. Par mon travail je veux confronter ma conviction à la réalité, et je veux m’impliquer pour l’art avec une absolue égalité.’Conviction’ et ‘Égalité’ sont deux notions constitutives de l’art. La ‘Conviction’ c’est d’y croire de façon absolue, de suivre par décision, par espoir et s’en servir comme arme, comme affirmation. Croire à l’égalité est une force, c’est quelque chose d’actif, c’est une résistance face à l’objectivité ou à la neutralité. Il n’y a pas d’œuvre–en tant que telle–fondée sur l’inégalité ou l’exclusivité. Avec la «Robert Walser-Skulptur» je veux donner une forme à mes convictions et à ma position d’artiste afin de combattre, encore et encore.

 

Le socle de la sculpture
Le premier ‘Fieldwork’ à Bienne du 20 au 26 novembre 2016 est –déjà– un élément constitutif de la sculpture «Robert Walser-Skulptur». Il est le premier élément, la base du socle de cette sculpture. Car grâce aux rencontres (plus de 25), grâce aux discussions et dialogues, quelque chose comme une sculpture –sans objet– peut prendre forme. Un filet fragile ou une sphère poreuse sur laquelle une peau peut être tendue, qui donnera par la suite du volume. A moi, à l’aide des habitants de Bienne,de construire une structure à la fois suffisamment solide et suffisamment précaire pour qu’elle puisse fonctionner en tant que caisse de résonance. Une caisse de résonance où pourra résonner la mémoire de Robert Walser en mettant la lumière sur lui et son œuvre, mais aussi sur les habitants de Bienne -dans leur situation, aujourd’hui et maintenant.
Pendant ce premier ‘Fieldwork’, avec un planning efficace et bien préparé, j’ai rencontré des acteurs de la ville dans des domaines divers: artistique, culturel, économique, relation travail/immigration,enfance, sport et loisirs, ou encore des individualités. J’ai notamment rencontré Haus am Gern, Gassenarbeit, Centres de Jeunesse et de Quartier, MärchenerzählerInnen, Jugend Freiheit Mett, Alpenclub, Schwingklub, «Rolex»-Jassclub, Multimondo, Circulo Abbruzzere, Centro Espagnol, ‘Sans Papiers’, Armée du Salut, un Ambassadeur et un Joker. Parallèlement au ‘Fieldwork’ local à Bienne,nous avons continué les rencontres spécifiques ‘Robert-Walser’: la visite de Bellelay, la Zentralbibliothek de Solothurn avecses récentes découvertes de cartes postales et lettres que Robert Walser a écrites à Emil Wiedmer, la rencontre avec une partie du Stiftungsrat du «Prix Robert-Walser», la rencontre de Sarah Bernovsky qui écrit une nouvelle biographie de Robert Walser, qui sera publiée par Columbia University Press, et enfin nos rendez-vous avec Reto Sorg du Robert WalserZentrum dont l’aide nous est si précieuse.

 

Inclure l’Autre
Le but du ‘Fieldwork’ est aussi de commencer la discussion pour une éventuelle coopération entrel’habitant/tes ou groupe d’habitant/tes de Bienne et la «Robert Walser-Skulptur». Il faut que je mène ces dialogues avec franchise pour discerner les partenaires éventuels, afin que les personnes rencontrées confrontent leur intérêt, leur idée, leur volonté, leur vision, et partagent leur dynamique dans mon projet. C’est ainsi que je vois une co-opération ou des co-opérations plutôt qu’une collaboration.Mon intérêt est de faire une sculpture qui soit une nouvelle forme d’art dans l’espace public, une nouvelle forme par son emplacement, par les gens impliqués, par sa durée dans le temps,et par ce qu’elle produit. Car je veux que la «Robert Walser-Skulptur» produise de la mémoire de Robert Walser et de son œuvre, je veux qu’elle produise une nouvelle lumière sur son œuvre, je veux qu’elle produise des rencontres et je veux qu’elle produise un évènement.

 

A l’écoute
Pendant le ‘Fieldwork’ à Bienne –comme avant lors d’autres ‘Fieldwork’– j’ai pu mesurer combien il est important que j’écoute et que je sois attentif à la compétence des habitants impliqués dans leur activité, et combien il est important que je parle seulement de ma compétence: mon travail d’art, ma vision d’art. Le ‘je’ ou le ‘moi’ est une notion qui inclut déjà l’Autre. Je veux tout faire pour utiliser l’art comme outil pour inclure l’Autre. Là est le problème, le défi, et pourquoi j’aime tellement faire un travail d’art. Je veux faire un travail où l’affirmation: l’Autre est inclus dans le ‘moi’ et dans le ‘je’ prenne une forme. C’est ma compétence en tant qu’artiste. C’est ce dialogue que je veux poursuivre pendant mon prochain séjour à Bienne.

Je suis retourné dans mon atelier après une semaine enrichissante à Bienne pour continuer –avec enthousiasme– à préciser mon plan pour la «Robert Walser-Skulptur».

Thomas Hirschhorn, Aubervilliers, fin novembre 2016

 

Galerie d’images
Photo:© Enrique Muñoz García